jeudi 31 décembre 2015

Quand abandonner le projet de Notre Dame des landes ?

Lors de l’audience du 10 décembre 2015 consacrée à l’expulsion des historiques, l’accord d’AGO-Vinci pour un report, puis pour un retrait du rôle mettait en évidence les pressions qu’avait reçues Vinci pour suspendre sa démarche.
Je n’ai bien sûr pas d’information sur la nature de ces pressions, mais il est évident qu’elles sont parties d’un niveau élevé de l’Etat. La suspension de cette démarche était nécessaire pour que l’accord PS-EELV soit crédible et que la gauche ait une chance de garder la région Pays de Loire.

Pour nous historiques, il nous paraissait alors plausible que Vinci ne réinscrive pas cette procédure au rôle. Un coup de chaud, un coup de froid, on maintient ce dossier de Notre Dame en attente.
La réalité est nettement plus violente, la veille du réveillon, nous recevons le courrier nous informant d’une réinscription au rôle pour le 13 janvier.

Ce courrier a été envoyé alors que la mobilisation du 16 janvier était connue.
Il y a donc volonté de Vinci, du premier ministre (et de l’Etat ?) de faire vite, d’éliminer les historiques, ou du moins, de les écarter du jeu. En effet, s’ils doivent partir dans 6 mois, ils seront obligés de se consacrer à ce départ et cette réorganisation, ils ne seront plus disponibles pour la lutte. Si le gouvernement veut faire vite, ce n’est pas pour chercher des ennuis, c’est bien pour en finir avec ce projet et démarrer les travaux ce Printemps 2016.

On rend amorphes les historiques avec des histoires d’argent : « tout ce qu’on leur donne en indemnités » (et on communiquera là-dessus) et les amendes qu’on leur colle pour les obliger à partir stressés et un peu honteux. Il ne reste plus ensuite qu’à virer les « ultra-violents », la campagne de dénigrement a déjà eu lieu. Sur le plan électoral, c’est très faisable, alors que cela aurait été risqué de sortir les historiques manu militari.
Cette analyse est, je crois, largement partagée. C’est pour cela que nous refusons que la Zad soit vidée de ses habitants quels qu’ils soient.

Des éléments pèsent contre l’idée d’une intervention :
Il faudrait des forces supérieures à celles de 2012. Or la police est déjà mobilisée au-delà de ses capacités pour l’Etat d’urgence, et il est quasi impossible de trouver des forces fraiches pour venir à Notre Dame.

Pour se représenter en 2017, François Hollande aurait besoin des forces écologistes, et il faut donc garder Notre Dame bien au calme pour en faire un dossier à négocier pour le ralliement des voix écologistes.
L’engagement renouvelé du Président à ce que les recours soient traités dans leur intégralité va dans le même sens et permettrait d’attendre sereinement 2017.

Par contre, à l’opposé :
Le créneau d’intervention pour la destruction et le déplacement d’espèces est étroit, c’est le printemps 2016, puisque 2017 sera un printemps de campagne électorale donc consensuel.
 
L’attente de chantiers pour sauvegarder l’emploi pour le BTP est bien réelle et créer des emplois, même si ce n’est que passager, sera payant sur le plan électoral.

Le développement du trafic passager à Nantes Atlantiques pourrait bien devenir négatif si l’on se réfère à ce qui se passe dans les aéroports régionaux en Grande Bretagne (source Breiz  info.com), comment alors justifier le transfert avec un trafic en baisse et un nombre de mouvement d’avions qui s’écroulerait ?

L’Etat, avec l’aide de la presse, parvient à taire le débat sur le fond du projet, et c’est vital car il est très démuni face à nos arguments. Mais cela pourra-t-il durer ?

Enfin, la réalité qui s’impose, par les procès pour expulsion c’est bien celle d’une tentative de travaux.

C’est pour cela que cette mobilisation déplacée du 16 au 9 janvier, c’est-à-dire avant le procès, est essentielle. Enthousiasme, sérénité et fermeté comme lors du convoi CAP sur la COP, l’ambiance et le déroulement ont été longuement discutés et font consensus.
Il faut bloquer le processus en cours et c’est l’importance de la mobilisation qui le fera.

La deuxième dimension essentielle, c’est la répartition géographique des initiatives. L’ETAT doit comprendre que ce n’est pas un abcès local à gérer, mais un vrai problème national en gestation.
Nous ne stressons pas trop au quotidien car nous avons confiance dans notre force collective.

Merci à tous ceux qui se mobiliseront, ils ne le feront pas seulement pour nous, mais pour sauver les terres de la Zad et tout ce qui s’y vit.
de Marcel, paysan à Notre Dame des Landes

mercredi 23 décembre 2015

Accaparement des terres agricoles


Intervention d’Hubert Cochet, Professeur d’agriculture comparée à Agro Paris Tech,  lors de la conférence de lancement du manifeste pour la sauvegarde des terres agricoles le 5 décembre 2015 à Paris.

L »accaparement des terres agricoles représente 40 millions d’Hectares et ce chiffre est un minimum. En effet, beaucoup de transactions ne figurent pas dans les statistiques.

Cet accaparement concerne, entre autres, les pays du sud et l’ex URSS.

Souvent la bourgeoisie urbaine prend le contrôle des terres du pays.

Avec la crise de 2007-2008, les investisseurs ont découvert que le foncier était un investissement intéressant.

2014 était l’année de l’agriculture familiale. Cela a été positif et s’est traduit par des discours de soutien. Cependant, le discours général est qu’il faut différents modèles, être pluraliste et qu’il faut de la place pour tout le monde. Au Brésil, par exemple, il y a deux ministères de l’agriculture : un pour les grosses exploitations et un pour les petites. Cela se développe en Amérique latine.

Il est faux de dire qu’il y a de la place pour tous ; les accès à la terre, à l’eau, et aux soutiens publics sont rares.

Un investisseur ne cherche pas une zone vierge ou il ne va gêner personne, il cherche des terres fertiles avec un accès à l’eau et des infrastructures routières, souvent assez proches d’une ville et de ports. Il s’agit donc de zones denses en population, et il faudra une éviction massive pour faire de la place aux investisseurs.

On leur propose parfois des terres moins peuplées, en zone de forêt contre les peuples autochtones ou bien sous climat aride, mais alors l’investisseur demandera un accès gratuit à la terre et à l’eau.

Qui est performant, les grandes entreprises ou les petits paysans ?

Sur le plan social et environnemental, on reconnait volontiers que les petits paysans sont plus performants, mais pas sur le plan économique.

Il faut comparer un rendement de 100 Qx en culture de maïs avec un rendement de 20 Qx  en culture associée avec de l’arachide, du manioc et des patates douces. Si on enlève les couts de tous les intrants, de l’eau etc, alors la valeur ajoutée de l’exploitation familiale est très supérieure à celle de la grande exploitation.

Les grandes exploitations mises en place par les investisseurs ne sont rentables que si l’accès aux ressources est gratuit. Par exemple , en Ukraine, les terres, c’est-à-dire, les meilleures terres de la planète sont louées 20€ par ha et l’eau est gratuite.

Comment les investisseurs obtiennent ils une rentabilité financière très élevée ? Ils utilisent peu de travailleurs et ceux-ci sont très mal rémunérés.

Le partage de la valeur ajoutée est de 5% pour le travail, 5% pour différents frais et 90% pour le capital.

Rapporté par Marcel, paysan à Notre dame

 

vendredi 11 décembre 2015

Retrait du rôle ordonné…


Nous arrivons en avance, il y a déjà du monde, nous ne serons pas seuls, le mouvement est là dans toute sa diversité. On a le temps de saluer un peu de monde, c’est chouette.

Rentrés dans la salle des pas perdus, on ne se sent toujours pas seuls, onze familles, rien que ça, pour passer devant le juge. ET là déjà, ça commence mal ! Deux personnes subissent une deuxième fouille, il faut enlever les ceintures, ils se sentent humiliés, l’un des deux est en larmes et d’un coup tout le monde est à cran.

Nous rentrons, salle quasi comble. Le juge nous explique que tant que le juge a un cerveau, tout espoir de justice n’est pas perdu, que tout le monde cherche une solution à cette situation. « On s’est beaucoup plus préoccupé des grenouilles que des êtres humains dans ce dossier. Le propre de l’être humain est d’être protégé par le droit. Il faudra une évolution des textes pour avoir à gérer des situations comme celle-là ». Il dit qu’il a reçu une demande de renvoi, mais n’est pas favorable au report.

Là, stupeur ! L’humour ou la philosophie, est-ce bien le moment ? On n’est pas certain de tout bien comprendre. Serions-nous des pauvres victimes malmenées par Vinci ? Est-ce cela que suggère le juge ? Nous nous sentons plutôt des êtres restés debout face à l’adversité, mais pas victimes et nous sommes venus attendre le châtiment. Le report nous semble une bonne chose et il le refuse…Où allons-nous ?

scène 1:
Le juge donne la parole à la défense pour qu’elle présente ses arguments. la défense demande le report . Cela se base sur différents arguments :- il s’agit de vies avec beaucoup d’inquiétude – des expulsions avant Noel, c’est un traitement inhumain – pour respecter le principe du contradictoire et de l’égalité d’armes, il faut avoir le temps de préparer la défense, ce qui n’est pas le cas – il est inopportun de mélanger justice et événements extérieurs (élections).
 AGO accepte la demande de renvoi, mais dans un délai restreint : début janvier à cause du calendrier prévisionnel car l’Etat doit démarrer les travaux début 2016. AGO a écouté les expropriés, les a indemnisés et les a laissé exprimer leurs doléances devant la juridiction française. AGO entend respecter les gens, la valeur des terres et des biens en cause. Il donne donc son accord pour la sérénité des débats.
Il faut vous dire que l’avocat d’AGO ne parle pas fort et que derrière nous, F n’arrête pas de chuchoter « il ment mais il ment ! Il n’en pense rien ! »
Il faut être concentré au tribunal pour tout suivre.

Le juge nous explique  que même si les avocats sont d’accord, lui seul décide et sans devoir motiver sa décision. Il refuse ce report et nous précise pour quelles raisons : - le temps pour s’organiser était suffisant, le débat juridique est circonscrit et prévisible – ce n’est pas pour démontrer qu’il est indépendant car tout le monde le sait – c’est plus dans un souci d’humanité vis-à-vis des justiciables  car cela fait des années que cela traine : "je suis saisi, je juge ! Je ne contribuerai pas à continuer à placer les gens dans l'incertitude".

Petit moment d’angoisse…

scène 2:
Les deux avocats de la défense ont la parole et dégainent très vite en demandant un retrait de rôle ordonné au nom de l'article 382 du code civil.
L'avocat d'AGO qui est toujours gentil, est d'accord pour un retrait du rôle, mais il dit qu'il demandera une réinscription au rôle début 2016.
Le juge qui ne peut refuser cela, prend acte.


scène 3 :
Un moment d’échange flou ou le juge évoque une QPC (question prioritaire de constitutionalité) qui se réfère au respect de la convention européenne des droits de l’homme. Me Lemoigne se lève, dossier à la main, puis se rassoit sans parler.

Là encore, on n’a pas tout compris.

Le juge conclue par ce qui doit être un trait d'humour: " avec la grâce de Noel, on peut espérer que tout le monde sera heureux avec un aéroport qui se construit, peut être n'y aura t'il pas de réinscription au rôle.

C’est fini.

sortie du tribunal...
Un avocat en retraite à nos côtés explique ce qu’est un retrait du rôle : la démarche est arrêtée, il faut la relancer si on veut poursuivre.
Cela semble plutôt une bonne nouvelle, en tout cas nos avocats sont très contents, ce qui est rassurant.
En synthèse: le boulet est passé à côté, mais le canon reste en place, sachant que l'artilleur fera la trêve des confiseurs !
Nous avons vraiment le sentiment d'avoir assisté à une pièce de théâtre. Dès sa première parole, le juge savait évidemment ce qui allait se passer.

Merci à tous ceux qui se sont mobilisés; leur présence était essentielle.
 
 Sylvie et Marcel

  

samedi 5 décembre 2015

Nous découvrons le vrai visage de Vinci…


Ironie de l’histoire, c’est en pleine négociation de la COP21 que tous les occupants historiques de la ZAD se retrouvent assignés en référé expulsion le 10 décembre 2015 à Nantes. AGO-Vinci demande l’expulsion sans délai des occupants historiques, protégés par l’accord politique de la grève de la faim de 2012.

Au Liminbout, en ce matin  ensoleillé du 5 décembre, l’huissier nous a remis notre assignation en référé soit 15 pages de documents auxquels se rajoutent la copie de notre jugement d’expropriation et quelques pièces annexes, et ce multiplié par le nombre de dossiers (un pour la maison, un pour les terres, un pour la ferme…).

La lecture de ces documents nous informe que AGO-Vinci demande l’expulsion immédiate et sans délai comme le prévoit :

-le droit relatif au code de l’expropriation (pas de délai légal de 2 mois, pas de sursis à l’exécution, pas de trêve hivernal, pas de délai de grâce…). « Et pour cause, le Conseil Constitutionnel a reconnu l’utilité publique du projet d’aéroport de Notre Dame des Landes, projet destiné à pallier à la saturation de l’aéroport de Nantes-Atlantique et à éviter le survol de la ville de Nantes, projet qui ne peut être ralenti » ;

-le principe d’équité : « les expropriés ont obtenu une somme tout à fait satisfaisante ». En effet, le juge d’expropriation a condamné AGO-Vinci à indemniser plus que son offre initiale. Cela veut donc dire que « le juge d’expropriation a prévu toutes les conditions nécessaires et utiles au rétablissement rapide de Mme Sylvie THEBAULT de manière à ce qu’elle ne ralentisse pas la prise de possession de l’expropriant. » (un chèque et je suis rétablie ! Dois-je dire « merci Vinci »?).

« AGO-Vinci a donc l’honneur de demander à la juridiction de l’expropriation :

-d’ordonner l’expulsion immédiate et sans délai, et ce sous astreinte de 200 euros par jour de retard; (cette somme est à multiplier par le nombre de dossiers, quatre en ce qui nous concerne)

-d’autoriser AGO à faire procéder à cette expulsion au besoin avec le concours de la force publique et d’un serrurier » (il y a Etat d’urgence !!!) ;

-« d’ordonner l’enlèvement et la séquestration de tous les meubles, animaux, matériels entreposés sur les parcelles aux frais , risques et périls des occupants ».

Quand on vous dit Vinci… Leur pub devrait être complétée. En effet, leurs constructions ne sont pas que de béton et d’acier. Elles peuvent être de sang, de larmes, de destruction de zones humides et d’espèces protégées, de saccage de l’environnement…

Mais de quoi se plaint-on ? Vinci prend soin de nos vies.

 Joyeux Noël avec Vinci !