samedi 12 septembre 2015

Visite des gendarmes… puis visite aux gendarmes !


Vendredi  4 septembre, à 8h30 du matin, je partais en tracteur alimenter mes vaches taries au pré. Juste à la maison de Claude  et Christiane, je croise une voiture grise avec 3 personnes à bord. Je m’arrête en serrant au plus près (le passage est étroit !), fait signe à la voiture de passer. Les occupants de la voiture me regardent (je me dis que leur têtes ne me sont pas inconnues), et la voie étant dégagée, je repars. Mais arrivée dans le 2ième virage (700 mètres plus loin), je revois la même voiture dans mon sillage. Je m’arrête, la voiture également et les gens sortent. Là, je reconnais : il s’agit de gendarmes de Blain en civil. Ils ont un papier à me remettre : une convocation en vue d’une audition libre pour le mardi 8 septembre à 9h30 à Blain. Motif : je suis « soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction de dégradation ou détérioration du bien d’autrui commis en réunion le 27/10/2014 entre 15 heures et 17 heures à DRUCAT (80) route du plessis. »

Ma première réaction est de rire en disant « c’est quoi ces conneries ?» ; ma deuxième en regardant la date est de m’exclamer «Ouah, quelle réactivité ! ».

J’apprends plus tard que 2 autres personnes sont convoquées le même jour parce que leur numéro de portable est sur un tract d’appel à manifestation pour se rendre en tracteur à Amiens au procès de camarades de la Confédération Paysanne le 28 octobre 2014.

Mardi 8 septembre, je me rends donc à la gendarmerie pour répondre aux questions. Beaucoup de temps consacré à l’état civil, celui de mes parents…  Je lui demande la peine encourue pour l’infraction : « 5 ans de prison et 75.000 euros d’amende » (il s’agit bien sûr de la peine maximale ; cela impressionne davantage!).

Et puis les questions sur ma présence à Drucat… Je réponds que je n’y étais pas. J’ai 30 témoins qui peuvent en attester. Regard intéressé du gendarme (peut-être content d’écourter l’interrogatoire ; il a sûrement d’autres choses plus importantes à faire ; du moins je l’espère !). « Qui ?, me demande-t-il. Je réponds qu’il s’agit de mes vaches. « Qui d’autre, en dehors de vos vaches ? » insiste-t-il ; je ne vois pas quoi lui dire. Retrouver précisément son emploi du temps 9 mois plus tôt est un peu difficile. Une seule certitude : j’ai trait mes vaches le matin et le soir du 27 octobre, le 28 octobre également. Je précise que malgré toutes mes qualités, je n’ai pas le don d’ubiquité.

On me présente la photo qui m’incrimine : je vois juste une personne aux cheveux courts de sexe indéterminée. Je précise que je ne me reconnais pas sur cette photo. Question sur mes connaissances (les 2  autres copains convoqués, un autre interrogé 15 jours plus tôt). Je réponds que je les connais. Question sur ma coupe de cheveux (« est-elle toujours la même ?). J’ai franchement envie de rire… On me demande mon numéro de portable. Je refuse de le donner. « Pourquoi ? », s’étonne-t-il ? Je lui dis que « c’est privé »  et lui demande s’il veut bien me donner le sien. « Pourquoi n’étiez-vous pas à Drucat ? » me demande-t-on. Parce que je travaillais, je réponds. « Votre portable pouvait-il être dans la Somme dans ces moments-là ? ». Je réponds que c’est possible, Marcel étant allé le 28 octobre en car à Amiens, avec ou sans  portable, je n’en sais rien…

J’ai envie de dire que l’atmosphère devient vite pesante dans une gendarmerie, confinée à 3 dans un tout petit bureau. Je trouve la situation grotesque.


Pour finir, j’ai droit à une séance de prises d’empreintes et de photos. Je demande si je suis obligée. On me laisse entendre qu’on a les moyens de m’obliger à les donner. Pressée d’en finir, je m’exécute en disant « la prochaine fois, je mettrai des gants !».  Après ce moment d’intimité, je me permets de demander au gendarme si ,dans  l’exercice de sa fonction au quotidien, il retrouve toujours  les raisons qui l’avaient amené  à choisir ce métier. Il me répond qu’ « il a toujours voulu être gendarme mais que avec Notre Dame des Landes,… ». Je garde le reste de sa réponse pour moi ; je ne veux pas lui attirer des ennuis de la part de sa hiérarchie.
Et puis, c’est la sortie … face à un gros rassemblement de soutien (MERCI A TOUS !). Je suis la dernière, les 2 autres copains convoqués après moi sont déjà ressortis.
Heureusement, les journalistes ne me demandent pas à quoi servent les gendarmes. J’aurais été capable de dire : « à em..... les braves gens bien sûr ! ». Une chose est sûre : je serai moins intimidée la prochaine fois !

Dois-je être fière d’être aussi célèbre auprès des gendarmes pour qu’en voyant une très vague photo, ils pensent aussitôt à moi ? Je le vis comme une tentative d’intimidation (« on vous a à l’œil ; gare à vous! ») mais cela a aussi pour conséquence d’exacerber  mon sentiment de désolation sur le pouvoir en place, la justice et le rôle de la gendarmerie… Et je ne dois pas être la seule citoyenne dans ce cas…

J’ai envie de conclure en disant qu’en France, la libre pensée est autorisée tant qu’on ne conteste pas les normes et les décisions des politiques.

 Sylvie, paysanne "célèbre" de Notre Dame des Landes